26thNov

Dans son rapport d’octobre 2024, Chemsex, retour sur 15 ans d’usages de drogues en contexte sexuel, L’Observatoire français des drogues et des addictions (1) analyse l’usage des outils numériques et son influence sur les consommations de drogues, démontrant un lien avec la consommation de porno en ligne.

Par chemsex, on parle d’un ensemble de pratiques intriquant activité sexuelle et usage de produits psychoactifs, autrement dit, les drogues. De plus, les rencontres entre chemsexers s’appuient sur les réseaux sociaux et les applications de rencontres.

L’usage des outils numériques constitue une spécificité du chemsex en même temps qu’un facteur central de son développement. Celui-ci évolue toutefois depuis la fin des années 2000 où sont observés sur certains sites de rencontres les premiers profils divulguant des renseignements liés aux pratiques sexuelles et aux consommations de drogues (quelles substances consommées, à quelle fréquence, etc.) à côté d’autres informations personnelles (description physique, intérêts, etc.) (2).

À partir de cette période, les observateurs parisiens indiquent que les sites de rencontres favorisent l’accès aux substances de ceux qui ne fréquentent pas les lieux festifs gays (bar, club, backroom, etc.) et n’auraient, de ce fait, pas nécessairement consommé des substances psychoactives autrement (3).

Les références aux consommations de drogues restent toutefois discrètes et limitées du fait de la censure opérée par certains sites. Elles passent alors principalement par l’usage d’émoticônes et de messages codés mais suffisamment explicites pour les initiés (« plan planant », « plan perché », etc.).

À partir de 2012, le développement des applications de rencontres pour smartphone s’accompagne d’un affichage plus ostensible des références aux consommations de drogues. Les utilisateurs introduisent alors les expressions de « chems triage » puis « slam triage » pour désigner le choix du ou des partenaires en fonction des produits que l’on projette de consommer et/ou du mode de consommation privilégié (« slam triage » faisant référence à la recherche de pratiques d’injections mutuelles de produits).

La géolocalisation, facteur accélérant

La géolocalisation permise par ces applications favorise de surcroît l’immédiateté de la rencontre (4). Le choix des applications peut varier en fonction des intentions des chemsexers : certaines sont réputées spécialisées dans une série de pratiques sexuelles, d’autres plus indiquées pour la recherche de rencontres couplées à des consommations de drogues (5), quand d’autres encore apparaissent plus généralistes (6). Ces dernières années, la présence récurrente d’informations et d’échanges relatifs aux produits psychoactifs sur les applications de rencontre amène un nombre croissant d’utilisateurs à stipuler explicitement leur refus d’associer rencontres sexuelles et usages de substances et à afficher leur volonté de ne pas avoir affaire à des personnes consommatrices (en témoigne la multiplication des mentions « no drugs », « no chems », « no tox », « pas de toxico », etc.). Des réseaux sociaux comme Instagram ou X (anciennement Twitter) ou des systèmes de messagerie instantanée comme Messenger sont également investis par les chemsexers pour favoriser les rencontres ou, par exemple, partager des vidéos de sex parties.

Le chemsex à distance se développe

Le développement des pratiques de chemsex à distance, c’est-à-dire des personnes consommant des drogues, parfois par injection, et ayant des activités sexuelles par écran interposé, constitue une évolution marquante observée depuis 2015 et qui s’est développée durant les confinements et couvre-feux de 2020 et 2021 (8). Ces rencontres entre chemsexers interconnectés (qui peuvent n’être que deux ou plusieurs dizaines) s’effectuent souvent par le biais de plateformes de téléconférences (zoom, Skype notamment) ou de sites spécialisés. Certains d’entre eux intègrent des fonctions type slamtime où chaque personne souhaitant s’injecter en même temps que d’autres, ou souhaitant observer des pratiques d’injection, est informée du moment propice. En fonction des pays d’où sont originaires les participants, certains produits seront plus particulièrement consommés (par exemple l’injection de méthamphétamine chez les usagers américains ou allemands, alors que les cathinones n’y apparaîtront que rarement, contrairement aux usagers français) (9).

Chemsex et films porno

Des usagers rapportent également consommer des produits tout en visionnant des films pornographiques dans lesquels les acteurs sont également en train de faire usage de produits et parfois de les injecter. Les pratiques de chemsex à distance ont perduré chez une partie des chemsexers au-delà des périodes de confinement, soit parce qu’ils résident dans des zones éloignées des villes où s’organisent les sessions chemsex et/ou ne trouvent pas toujours de partenaires à proximité de leur lieu de vie, soit parce qu’ils y ont trouvé un intérêt spécifique comme le fait de ne pas avoir à « gérer » des interactions sociales. Pour certains, cette modalité du chemsex leur permet de maintenir des relations sexuelles en se préservant du rejet auquel ils redoutent d’être exposés sur les applications de rencontres en raison de leur âge avancé, par exemple.

Chemsex à distance : de nombreux risques aussi

Ces pratiques de chemsex à distance (parfois appelé « plan cam ») permettent une meilleure gestion de certains risques et préservent d’une partie des dommages. Elles permettent parfois de mieux maîtriser les consommations (gérer soi-même les moments de prises, les doses, etc.), d’annihiler les risques de contaminations d’infections sexuellement transmissibles (par partage de matériel ou par voie sexuelle) et les risques d’agressions ou de vol (10).

À l’inverse, le chemsex à distance peut renforcer les risques liés à l’usage solitaire de drogues, par exemple en cas de surdose, ainsi que le caractère compulsif des consommations qui ne s’arrêtent plus avec le départ des partenaires (les sites Internet sont fréquentés en permanence). Le coût financier de ces plateformes peut aussi mettre en difficulté des usagers précaires, d’autant plus lorsque les abonnements sont souscrits dans des moments de désinhibition importante et que certains oublient de les résilier par la suite.

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Pour aller plus loin :


Notes

(1) Groupement d’intérêt public créé en 1983 pour permettre le recueil, l’analyse, la diffusion, et la valorisation des données et des connaissances dans le domaine des addictions, y compris sur écran, ou des jeux.

(2) Fournier et Escots, 2010

(3) Halfen et Gremy, 2009

(4) Pfau, 2014 ; Tissot, 2018

(5) Recon et Scruff

(6) Grindr, Hornet et GayRomeo

(7) Gérome et al., 2019

(8) Juszczak et al., 2022

(9) Tissot, 2023

(10) Tissot, 2024.


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